Frantz, béret vissé sur la tête, slalome entre les canapés du bric à brac, les bibelots, les livres, la vaisselle… la caverne d’Ali Baba d’Emmaüs Défi. Tel un homme politique, il sert une ribambelle de mains avec un surnom pour chacune « ça va Tonton ? », « La pêche grande sœur ? », « Comment ça va petit frère ? ». Homayoon, autre personnage parmi les 150 salariés en insertion, imite Frantz en l’appelant « la famille » : un condensé de bonne humeur caractéristique du 40 rue Riquet.
Frantz, sourire en or massif, affirme : « Maintenant je me lève avec la pêche ». Ce quadragénaire avancé, qui fait bien dix ans de moins, évoque ses années de galères en pointillés : ses deux ans dans un squat à côté de l’aéroport Charles de Gaulle, son année dans une tente au bois de Vincennes… C’est lors de ses six mois à Joinville le Pont, qu’une maraude d’Emmaüs va le mettre en contact avec Hélio : « le meilleur, le number one, niveau gentillesse ouah tu trouveras pas mieux, le travailleur social le plus connu de Paris ».
Hélio Borges est le responsable du dispositif « Premières Heures », un accompagnement progressif et sur mesure des personnes en situation de rue dans leur chemin vers l’emploi. Frantz fait partie des 75% de bénéficiaires du dispositif à être sortis de la rue et avoir obtenu un contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI). Pourtant Hélio raconte que ça n’a pas été facile pour Frantz au début, lorsque qu’il commençait sa semaine le lundi, il lui arrivait de se présenter le mercredi. Mais le dispositif est justement conçu pour être flexible, pour s’adapter à la difficulté de la reprise d’un rythme de travail régulier. Frantz se souvient de cette année de reprise comme « magnifique (…) Avec Hélio même le boulot c’est pas fatiguant, il met à l’aise », année au cours de laquelle son assistante sociale lui trouve une chambre d’Hôtel au métro Marcadet Poissonnier.
Suite à la semaine d’immersion prévue par Emmaüs Défi, pour que chaque nouvel entrant, qu’il sorte de grande école ou de « premières heures », découvre les différents métiers de ses salariés, Frantz a « un coup de chance ». Il se voit attribuer une place aux meubles : « C’est ce que je voulais, c’est un coup de yoyo ». Dans une vie antérieure, Frantz a en effet travaillé pour des boites d’intérims comme livreur et monteur de meuble pour des entreprises. L’aspect « création » lui plaît plus que d’autres fonctions de tri ou de collecte : « ça m’occupe l’esprit, ça fait du bien ». Faisant partie des trois salariés en insertion recrutés le mois dernier, Frantz confie : « J’ai 3 filles, je le fais surtout pour elles. J’ai besoin de 5 ans pour réussir ma vie, un appart et les enfants un week-end sur deux. C’est mon défi. C’est pour ça le nom Emmaüs Défi ça me plaît bien. Emmaüs Défi c’est mon défi ».
Depuis l’amendement porté par Emmaüs Défi, adopté dans la loi El Khomri, la durée maximale d’insertion a été étendue de deux à cinq ans, ce qui maximise considérablement les chances de sortie positives des salariés en insertion. La reprise du travail est vraiment progressive, sans pression : « l’ambiance est fun, bon enfant, pas de stress (…) mais c’est ma dernière chance ».
Frantz a deux messages à faire passer. Il voudrait « plus de meubles. Faut qu’on ait plus de dons, c’est la priorité, des dons de gros comme Ikea ou Leroy Merlin ». Frantz se verrait bien travailler chez une de ces entreprises, dont certaines comme Carrefour sont déjà partenaires et constituent des passerelles vers l’emploi pour les salariés en insertion. Son second message ? La cantine. « Le poisson c’est plus possible. C’est bien de recruter des gens en difficulté pour faire à manger, c’est super, mais faut réduire le poisson ».
Enfin, Frantz termine par une grande nouvelle. Il a obtenu une place en Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) dans le VIIe arrondissement, « à côté de la Tour Eiffel ». Son visage se découpe en deux pour laisser place à un énorme sourire
« Et oui baba, à côté de la Tour Eiffel ! Je suis un bourgeois maintenant (rire). L’avenir me sourit, je veux foncer ».