ENTRETIEN
Alors qu’Emmaüs Défi organise mardi 3 octobre une série de tables rondes pour fêter ses dix ans, Rémi Tricart, son directeur général, revient sur les expérimentations menées depuis 2007.
Rassemblement à l’occasion du dixième anniversaire de la mort de l’Abbé Pierre, place de la République à Paris le 22 janvier 2017. / Geoffroy Van Der Hasselt/AFP
La Croix : Emmaüs Défi a été créé en 2007. À quel besoin particulier avez-vous voulu répondre ?
Rémi Tricart : En 2006, des dizaines de sans-abri avaient planté leurs tentes sur les bords du canal Saint-Martin à Paris. Ça a interpellé Emmaüs France, qui s’est demandé ce qu’on pourrait proposer comme activité à ces personnes. On a donc embauché des gens du canal en chantier d’insertion sur les activités traditionnelles d’Emmaüs, à savoir la collecte et le tri d’objets donnés par les particuliers. L’idée, c’est depuis le début de s’adresser aux personnes sans domicile et de les accompagner par l’emploi.
Mais tenir un boulot tous les jours quand on dort dehors, c’est difficile dans la durée. On s’est donc dit qu’il fallait inventer quelque chose. C’est ainsi qu’est né en 2009 le dispositif Premières Heures, qui consiste à proposer d’abord une demi-journée de travail rémunéré puis une deuxième puis quelques heures régulières par semaine. Au bout d’un certain temps, on propose à ceux qui veulent travailler tous les jours un contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI) de 26 heures. Actuellement nous avons 140 salariés en parcours d’insertion.
Rémi Tricart, le manager des sans-abri
Ensuite on s’est rendu compte que l’accompagnement sur le chantier d’insertion ne suffisait pas. Les gens ont aussi des problèmes de logement, de papiers et de santé. C’est comme ça qu’on a créé en 2012 le dispositif Convergence qui propose un accompagnement global.
Enfin, on s’est aperçu que lorsque les personnes accèdent à leur premier logement, c’est à la fois une grande joie et un cap difficile. Nous avons donc essayé d’imaginer une solution pour accompagner les gens en créant en 2012 la Banque solidaire de l’équipement (BSE). Ça fonctionne comme un appartement témoin équipé par des entreprises partenaires, qui nous donnent leurs invendus. Les gens qui nous sont adressés viennent, on les accompagne et ils choisissent des meubles, électroménager, vaisselle, linge de maison, qu’ils paient 4 à 5 fois moins cher que le prix classique.
Y a-t-il d’autres expérimentations en cours ?
R. T. : Oui plein de choses ! Nous sommes impliqués dans l’économie circulaire avec le réseau des Amistocks, qui, depuis 2014, propose des points dans Paris, chez des particuliers, dans des mairies ou des boutiques, où les gens peuvent déposer leurs objets pour Emmaüs Défi pour qu’ils aient une seconde vie.
« Amistock », un nouveau modèle pour organiser le don
On a aussi un autre projet emblématique qui s’appelle les Recréateurs. De temps en temps, avec les objets cassés ou jetés, certains salariés du chantier se faisaient plaisir en fabriquant des choses avec. On s’est dit qu’il fallait construire autour de ça pour en faire une vraie démarche de formation professionnelle. Deux ateliers ont été lancés en mars 2017, sur le bois et la couture, qui emploient cinq salariés chacun. Les objets recréés plaisent beaucoup et on va avoir un espace de vente de 80 m2 au BHV en octobre.
Enfin, en mai, on a lancé L’Équipage. On est parti du constat que nos salariés du chantier d’insertion acquéraient pas mal de compétences en logistique mais que la marche était encore haute pour qu’ils puissent être embauchés dans une entreprise classique. À l’Équipage, spécialisé dans le transport du dernier kilomètre, on travaille donc 35 heures, dans une démarche non plus de remobilisation mais de formation professionnelle. Actuellement, l’Équipage a sept salariés en insertion.
Désormais, d’autres associations utilisent vos innovations. Est-ce une volonté ?
Rémi Tricart : Nous nous vivons vraiment comme un laboratoire d’innovations sociales. Nous expérimentons, nous évaluons et ensuite nous proposons des solutions qui peuvent servir à d’autres.
Par exemple, grâce à une convention avec la mairie de Paris, une quinzaine d’associations utilisent désormais Premières Heures. Même chose pour Convergence qui a été expérimentée pendant cinq ans, et qui est déjà utilisé sur deux chantiers d’insertion. Quant à la BSE, qui accompagne 700 familles par an à Paris, elle a essaimé à Lyon et nous réfléchissons à l’implanter en Seine-Saint-Denis.
Enfin, nous avions une dérogation pour que nos CDDI durent cinq ans, au lieu de deux pour les contrats aidés de droit commun. Le dispositif a été évalué et, depuis la loi El Khomri, cette possibilité est rentrée dans le droit commun.
https://www.la-croix.com/Economie/Economie-solidaire/Emmaus-Defi-laboratoire-dinnovations-sociales-2017-10-03-1200881480
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